Lettres de mon moulin
Lettres de moulin d'Alphonse Daudet Aux éditions France Graphic publications, Classiques Marais, 1990.
L'installation
Que de bonheur que ce premier récit ! Etrangement - car il est censé être une simple introduction au recueil de nouvelles - c'est celui que je préfère. Mais j'apprécie aussi beaucoup Le Secret de Maître Cornille, La chèvre de Monsieur Seguin, Les Vieux ou encore L'Arlésienne. Ce sont les nouvelles les plus connues me direz-vous ? Effectivement, mais si elles sont si connues, c'est peut-être parce qu'elles sont les plus belles...
" Ce sont les lapins qui ont été étonnés !..." J'aime tout particulièrement cette première phrase pour sa fraîcheur et pour le sourire qu'elle dessine sur nos lèvres à sa lecture...
Avec le Sieur Daudet, poète de son état, nous poussons une lucarne du vieux moulin dont il vient de faire l'acquisition pour guetter à l'intérieur... Nous entrons dès lors dans l'univers provençal de l'auteur avec sa forêt de pins qui sent bon, ses chemins caillouteux qu'il faut grimper, ses vignes, sa lavande. Il nous suffit d'entendre un grelot de mule et nous voici transporter loin de chez nous...
Le vieux moulin ne fonctionne plus depuis longtemps ; dans l'avant propos du recueil, on apprend que " sa grande roue est cassée " et que " l'herbe pousse dans les briques". Abandonné par les hommes, il a été apprivoisé par des animaux.
On pousse donc la lucarne du vieux moulin et un petit bataillon de lapins fabuleux qui étaient " en train de se chauffer les pattes à un rayon de lune" détale. On monte à l'étage où l'on surprend encore un pensionnaire, "un vieux hibou sinistre, à tête de penseur". Nous ne le dérangerons pas plus longtemps, Sieur Daudet décide de lui laisser l'étage et rebrousse chemin pour aller s'installer dans "la pièce du bas, une petite pièce blanchie à la chaux, basse et voûtée comme un réfectoire de couvent". Un merveilleux écrin de chaleur et de lumière pour que le poète nous raconte ses histoires dont certaines traverseront les siècles.
Depuis son moulin, Sieur Daudet assiste au retour des moutons vers les mas provençaux. Moutons et béliers reviennent des sommets où ils ont pu brouter l'herbe tout l'été et leur arrivée est un véritable événement pour tous les habitants ainsi que pour les animaux des basse-cour. " On dirait que chaque mouton a rapporté dans sa laine, avec un parfum d'Alpe sauvage, un peu de air vif des montagnes qui grise et qui fait danser ", précise l'auteur pour nous donner envie d'enfuir notre visage dans la fourrure des moutons...
Une installation dans son moulin au milieu des animaux qui peuplent son univers : lapins, hiboux, mules, moutons, loups et enfin les chiens de berger à qui Daudet rend hommage pour leur travail de gardien de troupeaux.
Aujourd'hui, les touristes du monde entier peuvent venir voir le vieux moulin de Daudet qui tient encore debout sur sa colline, au milieu de la Provence si chère à l'auteur. Quand je suis allée le voir, je me suis prise d'envie de vivre au temps des moulins, loin du progrès, des villes et de l'ère de l'industrie. Et si, à l'instar d'Alfonse Daudet, nous appréciions le bonheur simple et vrai de vivre en symbiose avec la nature et les animaux ?
Lorsque vous lirez des histoires de Daudet à des enfants, n'oubliez surtout pas de leur parler du vieux et merveilleux moulin !